De la démocratie au Sénégal : fragilité et résilience d’un système qui s’autorégule (Tribune de Dr Thierno Souleymane BARRY)

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03 février 2024. Décret du Président Macky SALL annulant la convocation du corps électoral aux élections présidentielles du 25 février 2024 au Sénégal. Un véritable séisme dans cette oasis de démocratie en Afrique de l’ouest. Consternation des uns et des autres dans la sphère démocratique avec des craintes raisonnables de la fin d’un des rares modèles de réussite du système démocratique en Afrique francophone. Cependant, la peur fut de courte durée, plusieurs facteurs internes combinés ont joué le rôle de « check and balances » pour garder l’intégrité du système démocratique sénégalais : l’opinion publique, les acteurs socio-politiques, les autorités morales et surtout et non des moindres les décisions du gardien de la constitution, le Conseil constitutionnel sénégalais. Après un rappel du contexte sociopolitique qui prévalait, nous tirerons quelques leçons sur les facteurs qui ont contribué à éviter le recul et qui participent à consolider le processus démocratique du Sénégal.

Le contexte socio politique entourant la crise de la démocratie au Sénégal

Ces derniers temps, comme plusieurs pays d’Afrique de l’ouest, la question d’un troisième mandat s’est également invitée au Sénégal, avec en jeu, des interprétations des dispositions constitutionnelles par divers acteurs prônant le pour ou le contre d’une telle possibilité. Une majorité des populations sénégalaises était défavorable à l’option d’un troisième mandat pour le Président Macky SALL. Cette opposition s’est traduite par des manifestations pacifiques organisées par les acteurs socio-politiques. On enregistre concomitamment des arrestations, la restriction des réseaux sociaux et autres. Face à la résistance populaire, le président a annoncé son intention de quitter ses fonctions à la fin de son mandat, une annonce presqu’unanimement saluée. Cependant, le décret annulant la convocation du corps électoral et les péripéties ultérieures sont venues brouiller les cartes. L’espoir subsiste avec le rôle de régulateur des institutions et du processus électoral que continue de jouer le Conseil constitutionnel et de l’implication citoyenne fortement mobilisée.

Les enseignements à tirer de la récente expérience démocratique sénégalaise

L’histoire est certes loin d’être terminée mais plusieurs leçons sont à tirer de cette expérience sénégalaise en termes de régulation des crises du système démocratique en place. Nous soulignerons spécifiquement deux principales leçons : la participation citoyenne et le rôle régulateur du Conseil constitutionnel.

L’implication citoyenne dans le combat pour le renforcement de la démocratie au Sénégal est une donnée constante. Avant le présent épisode, dans un passé récent des manifestations monstres ont été organisées et des tribunes ténues dans les colonnes des médias pour lutter contre le changement constitutionnel sous le régime du Président Wade. La société civile n’a pas été en reste ; le mouvement Y en a marre en est une parfaite illustration. Dans le cas présent, les acteurs socio-politiques ont pris le bâton de pèlerin pour s’opposer aux musèlements des principaux acteurs politiques, au respect du calendrier électoral et aux velléités de « third termism » du Président SALL. Les universitaires ont publié des tribunes collectives tendant au respect strict de la constitution sénégalaise et au jeu démocratique. Il est ainsi loisible de dire qu’un processus démocratique est tributaire de l’implication active de tous les citoyens sous diverses formes pour défendre les valeurs et principes qui le sous-tendent.

Le Conseil constitutionnel sénégalais a joué pleinement le rôle de régulateur des institutions qui était attendu de lui en rendant sa décision du 15 février 2024 déclarant contraire à la constitution le projet de loi reportant les élections au 15 décembre 2024. Pour rappel, le décret du Président SALL précité marquait un temps d’arrêt au processus électoral en cours. Le Conseil constitutionnel lui invitait d’organiser des élections dans les meilleurs délais tout en rappelant l’impossibilité de prolonger le mandat présidentiel. Les regards continuent d’être tournés vers le Conseil constitutionnel pour la suite du processus électoral et surtout pour la gestion de la situation inédite de l’après 02 avril, date d’échéance du mandat présidentiel actuel. Finalement, il est possible de conclure qu’une constitution est foncièrement tributaire de l’institution chargée d’en être la gardienne dont les décisions s’imposent à toutes les institutions de la république.

En définitive, l’expérience que vit le processus démocratique sénégalais présentement démontre à souhait tout à la fois la fragilité, la vitalité et la résilience de tout régime démocratique. Nous osons espérer que l’exemple sénégalais ira en se consolidant et fera des émules dans la sous-région ouest africaine.

Conakry, le 06 mars 2024

Juris Guineensis No 59

Me Thierno Souleymane BARRY, Ph.D

Docteur en droit, Université de Sherbrooke/Université Laval (Canada)

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