À Conakry, se loger est devenu un privilège. Ce qui relevait jadis du minimum vital pour toute famille – disposer d’un toit décent – est aujourd’hui une source de stress, de conflits et parfois d’exclusion sociale. La flambée des loyers dans la capitale guinéenne, à laquelle s’ajoute une précarité généralisée, impose une réflexion urgente sur le rôle de l’État dans la régulation du marché locatif.
Une crise qui touche toutes les couches sociales
Du fonctionnaire moyen au commerçant, en passant par les étudiants, peu sont ceux qui échappent à la pression du loyer. Il n’est plus rare de voir des familles payer entre 1 000 000 à 3 000 000 GNF par mois pour un simple appartement, souvent sans contrat formel, sans services de base, ni sécurité. Cette situation est d’autant plus critique que les revenus n’augmentent pas au même rythme que les loyers, et que la demande dépasse largement l’offre en logements décents.
La conséquence directe est la multiplication des habitats précaires, des cohabitations forcées, des déménagements incessants et, pour certains, un retour contraint dans les périphéries lointaines sans infrastructures ni accès aux services essentiels.
L’État, arbitre attendu mais trop discret
En l’absence d’une politique publique du logement cohérente et équitable, les propriétaires fixent les prix à leur guise. Or, dans tout pays qui se respecte, le droit au logement est encadré et protégé. L’État guinéen ne peut plus rester spectateur face à cette forme de violence économique qui fragilise l’équilibre social.
Ce que l’État doit faire de toute urgence
Voici quelques pistes concrètes pour une régulation juste et efficace :
- Instituer une grille nationale des loyers
Il est urgent que les pouvoirs publics établissent une grille officielle des loyers selon les zones urbaines, la superficie et le standing des logements. Cette mesure permettrait d’éviter les abus et de restaurer un minimum de justice dans les transactions locatives.
- Rendre obligatoire le contrat de bail écrit
Un contrat signé entre le propriétaire et le locataire devrait être obligatoire et enregistré dans une structure publique (commune, préfecture ou ministère). Cela garantirait les droits des deux parties et faciliterait la résolution des conflits en cas de litige.
- Créer une Agence nationale de régulation du logement
Une telle agence pourrait contrôler le respect des grilles tarifaires, jouer un rôle de médiateur entre bailleurs et locataires, et collecter des données fiables sur le marché locatif guinéen pour une meilleure planification urbaine.
- Promouvoir le logement social
L’État doit investir dans la construction de logements sociaux, en partenariat avec le secteur privé, pour loger les ménages à faibles revenus, les jeunes travailleurs, les fonctionnaires et les étudiants.
- Offrir des incitations fiscales aux bons bailleurs
Des mesures incitatives peuvent être envisagées pour encourager les propriétaires qui pratiquent des loyers raisonnables et respectent les normes d’habitabilité.
Le droit au logement, un enjeu de dignité et de paix sociale
Le logement est plus qu’un besoin matériel. Il est un droit fondamental, un levier d’insertion, de dignité et de stabilité familiale. Laisser perdurer la crise du logement à Conakry, c’est prendre le risque d’un mécontentement social latent, d’une fracture urbaine croissante et d’un recul des conditions de vie des Guinéens.
Le silence de l’État sur la question des loyers n’est plus tenable. Il est temps d’agir. Agir pour protéger les locataires. Agir pour encadrer les pratiques abusives. Agir pour que Conakry devienne une ville vivable, pour tous.
Eugène Capi Balamou
Juriste, diplômé d’un Master 1 en Droit Privé des Affaires