Les enseignements du scrutin présidentiel : Un processus biaisé dès le début Acte I

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Dans les régimes démocratiques, les scrutins sont périodiquement organisés afin de choisir les représentants. Cet exercice est fondamental pour toute démocratie, en ce sens qu’il permet de garantir le renouvellement de la classe dirigeante et de donner à l’élu la légitimité pour mieux exercer son mandat.
Le 18 Octobre dernier, les guinéens se sont rendus aux urnes pour la sixième de l’histoire pour choisir leur président. Après plusieurs jours d’attente, la CENI a proclamé Alpha Condé vainqueur dès le premier tour avec plus de 59% des voix contre Cellou Dalein Diallo qui a obtenu 33% des voix. A noter que ce dernier avait déjà revendiqué sa victoire avec plus de 53% des voix.
Au lendemain de la proclamation de ces résultats provisoires globaux par la CENI, plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce scrutin
L’analyse de ce scrutin oblige l’analyste à tenir compte des trois phases du processus, AVANT, PENDANT et APRES les élections.
Les premiers enseignements
Avant les élections, plusieurs irrégularités ont été constatées par les différents candidats en compétition : Du fichier électoral taillé sur mesure, de la cartographie électorale, de la mauvaise distribution des cartes d’électeurs, de l’affichage des listes électorales ou encore du refus de la CENI à donner des PV des bureaux à tous les candidats.
I-Avant le Scrutin
Du Fichier électoral
Le fichier électoral est la clé de voûte de tout processus électoral. Il garantit la fiabilité de l’élection et permet de respecter la volonté du corps électoral. Pendant ces élections, l’on a constaté un fichier taillé sur mesure et favorable à la Mouvance. L’on a remarqué l’augmentation de l’électorat de plus de 50% dans les fiefs de la mouvance notamment en Haute Guinée qui avait plus d’électeurs que la capitale Conakry. Par contre, les fiefs de l’opposition n’ont connu que 15 à 20% d’augmentation de l’électorat entre 2018 et 2020. A cela, il faut ajouter aussi des cas d’omissions de certains électeurs qui n’ont pas retrouvé leurs noms sur les listes. Une anomalie qui devrait être corrigée en tenant compte du délai d’affichage des listes électorales.
Du refus de la CENI à donner des procès-verbaux aux partis politiques
A quelques jours du scrutin, la CENI a fait une déclaration plutôt surprenante. Le fait de refuser de transmettre aux douze candidats une copie du procès-verbal. Une décision qui violait l’article 85 alinéa dernier du Code Electoral ainsi que l’Ordonnance №07/P/CC/2020 du 16 octobre 2020 PORTANT REMISE D’UNE PHOTOCOPIE LISIBLE AUX REPRESENTANTS DES CANDIDATS DU PROCES-VERBAL DE DEPOUILLEMENT DES RESULTATS PROVISOIRES DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE DU 18 OCTOBRE 2020. De par cette décision à la fois incompréhensible et illégale était de nature à jeter un doute sur la volonté de la CENI d’organiser un scrutin transparent. Car, le procès-verbal est la pièce à conviction par excellence permettant aux partis de régler des contentieux en cas de falsification des résultats. Ce refus a été vu comme étant une volonté manifeste de la CENI de ne pas garantir la transparence électorale.
De la cartographie électorale
La répartition des bureaux est déterminante dans un processus électoral. Là aussi, on a constaté de graves anomalies dans les fiefs de l’opposition, ou bien supposés voter pour l’opposition. Ce fut le cas dans la région de Boké dans les villes de Boké, Boffa et Fria. Dans la plupart de ces localités, l’on a remarqué l’éloignement des bureaux de vote du domicile des électeurs. Pourtant, dans un processus électoral, la distance qui sépare l’électeur de son bureau de vote est déterminante pour la participation électorale. Autrement dit, plus l’électeur est éloigné de son bureau de vote, plus il a tendance à s’abstenir. Ces faits ont été constatés surtout à Boffa ou un parti politique était obligé de mobiliser des navettes pour transporter les électeurs. L’on a constaté les mêmes anomalies dans d’autres localités favorables à l’opposition. Ces irrégularités qui ne sont pas anodines, ont eu de graves conséquences au bon déroulement et à la transparence électorale
De la campagne électorale et de l’offre politique non attractive
Cette campagne s’est déroulée sur fond de tension et surtout elle a été marquée par l’exacerbation des discours à caractère ethnique. L’on a aussi enregistré des violences pendant ces campagnes à Labé sur le cortège du premier ministre, le blocage de Cellou Dalein à la rentrée de Kankan et celui d’Ousmane Kaba à la rentrée de Siguiri.
Au-delà de ces incidents, l’on a aussi compris que l’offre politique n’était pas au rendez-vous de cette compétition électorale. C’est pourquoi le vote ethnique a été plébiscité. A part le parti De Makalé Traoré qui avait une vision claire de son programme de gouvernance, la non-attractivité de l’offre politique a favorisé le vote clientéliste. Même si certains ont voté pour sanctionner la mauvaise gouvernance d’Alpha Condé.
En effet, la logique identitaire a été déterminante dans la construction des fiefs électoraux. Alpha Condé a obtenu des scores soviétiques dans sa région en Haute Guinée (98% à Siguiri) Et Cellou Dalein Diallo a presque tout raflé en Moyenne Guinée (plus de 90% des voix à Labé). Ce qui voudrait dire que les citoyens étaient prisonniers de leur origine ethnique. Autrement dit, les choix des électeurs se reposaient sur des chaines d’obligation et de loyauté envers le parent de la même région.
En fin, l’on peut dire qu’il y avait un manque de visibilité des programmes de société des différents candidats, donc la non-attractivité de l’offre politique. Pourtant, c’est un « faisceaux de paramètres qui structurent le comportement politique ».
En dépit de cette non-attractivité de l’offre politique, la campagne a quand même permis aux électeurs d’attacher un intérêt à la politique du vote d’où la forte mobilisation le jour du scrutin.
L’acte2 sera abordé dans nos prochaines publications elle sera consacrée sur : De la mauvaise distribution des cartes d’électeurs dans les fiefs de l’opposition ; Le non-respect des mesures barrières en période de pandémie ; L’excellent travail de couverture de la presse guinéenne et violences post-électorales
Sonny Camara Analyste politique

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