Le ciel nous tombe dessus et tout semble s’écrouler sous nos pieds. A cet instant précis d’émotion et de panique, on a le sentiment que tout s’est arrêté, qu’on est seul au monde, perdu et vulnérable. On ne peut avoir peur de l’épouvantail des épreuves, mais, on tremble toujours devant l’effroi de la mort d’une troublante tranquillité et d’autant sûre d’elle qu’on ne peut l’arrêter dans son élan irrépressible ni l’ajourner, à cause de son impatience à se déployer dans toute sa suprématie.
Salifou Camara m’était si proche, familier et cher que j’avoue pleurer, dans le chagrin et le désarroi, sa disparition brutale, hurlé d’une douleur qu’on ne peut entendre que dans les murmures pudiques du silence, qu’on ne peut mesurer qu’aux battements d’un cœur éprouvé.
Me voilà orphelin d’un ami de longue date. Je ne peux me résigner chaque fois à la fatalité ni forcer ma nature à combattre la nostalgie des jours meilleurs, la mélancolie des temps cruels. Salifou Camara, timide, s’est gardé de faire des adieux pathétiques, poli et courtois, a tiré sa révérence dans la dignité, sans provoquer de vagues ni lancer des cris d’alarme dans la détresse d’une maladie courte et sournoise.
Je souffrirai de son absence et ne pourrai l’oublier, habité par une avalanche de bons souvenirs de notre amitié sincère et loyale, de notre fraternité vraie. Notre pacte de non agression et d’assistance mutuelle conclu dans la ferveur des engagements qui obligent est suspendu par la volonté de Dieu mais ne peut souffrir de l’ombre d’aucun doute, arrimé à l’obstination de liens insécables.
L’homme qui était souvent absent du pays, grand voyageur, est décédé au cours de l’un de ses déplacements à Paris où il avait ses habitudes, aimait passer du temps, notamment au Drugstore qui est une des places qu’il a aimées fréquenter avec assiduité et volupté. On meurt souvent là où on s’est le mieux senti, là où on a plus aimé vivre parmi les gens qu’on porte dans son cœur, vraiment.
J’ai une pensée émue pour Kassory Fofana dont il fut l’alter égo, l’ami proche et soutien indéfectible. Tous les événements de la vie des Hommes, la plupart du temps, marqués au fer rouge des difficultés qui persistent que d’être empreints de la saveur du bonheur, rappellent qu’ici-bas, on a tous vocation à souffrir, on ne peut se prévaloir de rien ni se fier à nos instincts pour espérer survivre, échapper à une fin programmée d’une inéluctabilité certaine.
Je ne fais plus aucun pari sur la vie, cède à la tentation de croire que le seul horizon qui s’offre à tous, la destination certaine pour chacun, est déesse mort. Je fais appel à toute la force de ma foi pour continuer à espérer, vivre chaque instant qui se présente dans un moment compté. Je ne peux plus sourire que de l’insouciance d’un bonheur apparent, de l’orgueil d’un privilège illusoire. Que fait courir tant les hommes ? Pourquoi, voudraient-ils se sentir forts alors qu’ils ne sont même pas maîtres de leur propre vie, sont tributaires de la mort qui rôde autour de chacun, s’invite dans le quotidien de tous ?
Salifou Camara fut un homme fort, animé de courage et de détermination, que l’adversité exaltait, l’amitié engageait, la passion faisait vivre et avancer vers de grands sommets. Il a fait de toute sa vie un combat avec des victoires glanées ça et là qui honorent sa mémoire et immortalisent son œuvre qu’on rappellera dans un florilège d’hommages et dans des actes de reconnaissance mérités.
Super V n’est pas un nom de baptême, mais le marqueur d’un esprit combatif et d’une âme de vainqueur. Jusqu’à son dernier souffle, Salifou Camara n’a pas été homme à s’avouer vaincu. Il s’est toujours refusé à abdiquer, il ne s’est couché pour personne, il a été, tout le temps, jusqu’au bout de tout ce qu’il a décidé et entrepris parce qu’il ne fait rien à moitié et n’aimait pas s’arrêter à mi-chemin ni faire défection. C’était un homme entier et d’une constance certaine dans les amitiés comme dans les adversités. C’était un partisan du tout ou de rien, même s’il était capable parfois de compromis qui soit en phase avec ses convictions et les principes, chers à son cœur.
La mort n’est pas un point final, c’est le début du commencement de quelque chose de diffus et confus qui échappe à l’intelligence humaine, sonde l’inconnu, ne trouble pas la paix de la nature, jalouse de ses mythes et mystères.
Salifou, tu nous manqueras avant la prochaine rencontre.
Tibou Kamara