‘’Post-élection 2020 : La nécessité d’agir pour restaurer la cohésion et panser le tissus social’’
La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) de la République de Guinée a organisé, le 22 mars 2020, le double scrutin législatif et référendaire dans un contexte marqué par une crise socio-politique nourrie de manifestations dans presque tout le pays et ayant occasionné des pertes en vies humaines et d’importants dégâts matériels.
Il est important de signaler que ce double scrutin est organisé sans la participation de certains partis politiques de l’opposition, non des moindres, tels que l’Union des Forces Démocratiques de Guinée, l’Union des Forces Républicaines, le Bloc Liberal, le PEDN, etc.
Dans le cadre de la mise du projet « Suivi, Analyse et Atténuation de la violence Électorale -EMAM» et pour apporter son appui à l’organisation d’un scrutin apaisé et inclusif, WANEP-Guinée a mis en place un dispositif de veille basé sur quatre-vingt (80) observateurs déployés dans les huit (08) régions administratives du pays suivant une cartographie des zones à risques de violences électorales réalisée en septembre 2019.
La Cellule de Veille Electorale installée pour coordonner ce déploiement a traité et analysé des informations sur le déroulement des opérations de vote dont les résultats sont consignés dans la présente déclaration.
- Des préparatifs pour la tenue des élections :
La révision et l’audit du fichier électoral ont produit une liste définitive de5 325 138 électeurs ; un découpage électoral en16 695bureaux de vote et vingt-cinq (25) Commissions Electorales d’Ambassade Indépendantes (CEAMI). Mais, pour des raisons de crise sanitaire due au Covid-19, le vote n’a pu se tenir dans les 25 CEAMI. Sur le plan sécuritaire, l’on note également la création de l’Unité Spéciale de Sécurisation des Elections (USSEL).
Au titre des candidatures, 29 dossiers ont été retenus sur 37 déposés. La campagne électorale n’a globalement pas connu de violence majeure. Cependant, des actes de vandalismes ont été enregistrés dans certaines localités du pays et ambassades comme en Sierra Léone et en Grande Bretagne dans le cadre de la contestation du référendum constitutionnel et du fichier électoral.
- Du déroulement des opérations de vote.
Sur 73 bureaux de vote couverts à l’ouverture par nos observateurs, 44 ont ouvert à 8h00 soit 60%. A ce niveau, il convient de préciser qu’il y a eu un décalage entre l’article 66 du code électoral qui fixe l’ouverture des bureaux à 7H00 et l’article 12 alinéa 2 de l’ordonnance/2020/No001/PRG/SGG portant dispositions relatives au référendum qui par contre fixe le début du vote à 8H00. Le matériel électoral était disponible et au complet dans 79% des bureaux de vote couverts par nos observateurs. Par contre, dans 21% des bureaux de vote visités, on a relevé le manque de certains matériels électoraux, notamment des isoloirs (6 bureaux), des listes d’émargement des électeurs (3 bureaux), l’encre indélébile (2 bureaux), etc.
Dans 68% des bureaux de vote observés, les cinq (5) membres des bureaux de vote, prévus par le code électoral, étaient présents à l’ouverture. En ce qui concerne les délégués des partis politiques en lice, ils étaient absents dans 27% des bureaux de vote visités.
Les agents de l’USSEL étaient présents dans 90% des bureaux de vote couverts. Nos observateurs ont noté des échauffourées entre des jeunes manifestants et les forces de l’ordre en plusieurs endroits.
Ce double scrutin législatif et référendaire se distingue des précédents par la faible couverture en terme d’observation. Selon les données qui nous ont été remontées par les observateurs sur le terrain, d’autres structures telles que le Haut Commissariat aux Droit de l’Homme, le REGARD du peuple ont également déployé des observateurs rencontrés dans 72% des bureaux de vote visités.
L’affluence des électeurs dans les bureaux de vote a été considérablement influencée par la psychose causée par des menaces des opposants au double scrutin. Selon nos observateurs déployés sur le terrain, dans 63 % des bureaux de vote observés, l’affluence était mitigée. Dans les fiefs du parti au pouvoir, elle était très élevée tandis que dans les bastions de l’opposition, elle était très faible et nulle par endroit.
- Incidents, dysfonctionnements et insuffisances constatés
Ce double scrutin législatif et référendaire s’est tenu dans un contexte très tendu. Compte tenu des violences enregistrées à l’ouverture de plusieurs bureaux de vote dans certaines localités et pour des raisons de sécurité, nos observateurs n’ont pu observer que dans les bureaux où la situation était relativement calme.
Nos observateurs déployés sur le terrain ont relevé 34 incidents, insuffisances et dysfonctionnements de toutes natures tout au long des opérations de vote.
Parmi les incidents, insuffisances et dysfonctionnements relevés, on note :
Les manifestations de groupes de jeunes aux alentours des bureaux de vote ;
– La destruction du matériel électoral dans plusieurs localités ;
– Les violences verbales et physiques entre manifestants, électeurs et forces de l’ordre ;
– L’interruption des opérations de vote dans certains bureaux de vote ;
– La fermeture précoce des bureaux de vote dans certaines localités notamment dans les communes de Mamou, Matoto, Kolaboui, Marela, etc. pour des raisons de sécurité ;
La délocalisation de certains lieux de dépouillement ;
– Le refus d’accès des observateurs de WANEP à certains bureaux de vote ;
– L’arrestation de jeunes manifestants par les forces de l’ordre ;
– Des coups de feu entendus dans certaines localités empêchant l’accès des électeurs au bureau de vote ;
– Des jets de pierres et incendies de pneus dans diverses localités ;
– La tenue de propos injurieux incitant à la violence entre électeurs et manifestants ;
Il faut préciser qu’en dehors de notre système de monitoring, de nombreux incidents violents survenus dans différentes localités nous ont été remontés par des personnes ressources. C’est le cas des pertes en vies humaines enregistrées : 4 morts selon le communiqué officiel du gouvernement et 9 morts dont une femme selon l’Organisation Guinéenne de Défense des Droits de l’Homme (OGDH).
Au lendemain des opérations de vote, le dispositif de veille mis en place à continuer à fonctionner afin de fournir les informations relatives à la situation post-électorale. Ainsi, 84% des observateurs ont déclaré une accalmie sur les média sociaux et traditionnels.
Selon les données remontées par les observateurs, la quasi-totalité des candidats (soit 97%) n’a pas manifesté de victoire au lendemain des élections. Il n’y a pas eu d’attaques contre la CENI ou ses démembrements au lendemain du scrutin dans la majeure partie des zones observées (soit 96%). Néanmoins, quelques violences d’ordre physique et/ou psychologique ont été enregistrées dans certains endroits.91% d’observateurs déployés ont déclaré n’avoir pas constaté des cas d’arrestation.
En ce qui concerne les tensions interethniques, 76% de nos observateurs déployés ont affirmé n’avoir pas perçu de tensions interethniques ouvertes dans leurs zones d’intervention. Toutefois, les risques d’affrontements interethniques restent toujours élevés dans certaines villes. A cet égard, 66% des observateurs pensent que l’on doit agir pour recoller le tissu social.
- Contributions de la Cellule de Veille Electorale
Pour atténuer les cas d’incidents rapportés, la chambre politique de la Cellule de Veille Electorale a entrepris des démarches auprès des acteurs concernés notamment la CENI et l’USSEL afin d’apporter des réponses appropriées.
Entre autres actions entreprises, on note :
-L’interpellation de l’Unité Spéciale de Sécurisation des Elections (USSEL) pour renforcer le dispositif sécuritaire au niveau de certains bureaux de vote où il y a eu des manifestations aux alentours ;
-La prise de contact avec la CENI pour la fourniture du matériel manquant signaler au niveau de quelques bureaux de vote couverts par nos observateurs.
-La prise de contact avec l’Unité Spéciale de Sécurisation des Elections (USSEL), pour faciliter l’accès des différents observateurs aux bureaux de vote
-L’alerte faite à l’Unité Spéciale de Sécurisation des Elections (USSEL) sur l’incident violent au quartier Bellevue à N’Nzérékoré qui a abouti au renforcement des forces de sécurité pour maintenir l’ordre ;
-La chambre politique a également contribué à gérer d’autres situations comme la tentative de saccage de bureaux de vote par des jeunes à Yimbaya, commune de Matoto à travers l’USSEL.
- Enseignements tirés
Au titre des leçons apprises, on retient :
-Les efforts déployés pour la sécurisation du processus ont permis au processus d’enregistrer moins de violences et conséquences de violences ;
-Les violences électorales notées sont les signes d’expression de frustrations de groupes politiques et citoyens se sentant exclus du processus ;
-L’esprit de collaboration entre la Cellule de Veille électorale et les différents acteurs impliqués dans la résolution des difficultés constatées tout au long du processus ;
-Les visites régulières de la cellule de veille par certains partenaires nationaux et internationaux ;
-Malgré la menace sécuritaire et sanitaire le jour du scrutin, certains guinéens ont manifesté une ferme volonté d’accomplir leur devoir citoyen.
- Défis et perspectives
Nonobstant les efforts de l’État de la Guinée et de ses partenaires, WANEP-GUINEE constate des défis d’amélioration, notamment :
- L’inclusion de tous les acteurs politiques au processus électoral ;
- La neutralité de la CENI vis-à-vis de l’administration et des acteurs politiques ;
- La sécurisation du processus pour atténuer et prévenir les risques de violence ;
- La restauration de la confiance entre les acteurs politiques ;
- La consolidation du consensus autour du fichier électoral.
- Le renforcement des mesures de prévention et de gestion de la pandémie de Covid-19 au regard du non-respect des mesures de prévention dans bon nombre de bureaux de vote.
- Recommandations :
A la lumière de tout ce qui précède, nous recommandons :
- Au gouvernement
- D’œuvrer à la création d’un meilleur climat favorable au dialogue et à la bonne tenue de toutes les consultations électorales.
- De prendre des mesures et dispositions requises pour faire face à une éventuelle montée de la contamination au Covid-19 dès les prochains 14 jours.
- A la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI),
- D’agir avec impartialité et dans le respect des lois électorales ;
- D’institutionnaliser son mécanisme de réponses rapides l’ayant aidé à apporter des solutions à quelques cas de dysfonctionnements et irrégularités au cours des consultations électorales ;
- D’améliorer sa neutralité vis-à-vis de l’administration et des acteurs politiques ;
- De renforcer la communication, l’information et la sensibilisation sur le processus électoral ;
- Aux partis politiques et candidats
- De privilégier le dialogue et le recours aux voies légales pour le règlement des différends,
- D’éduquer les militants à la non-violence et à la tolérance politique ;
– D’observer les dispositions du code de bonne conduite des partis politiques.
- Aux forces de défense et de sécurité,
– D’institutionnaliser leur dispositif de maintien de l’ordre en l’inscrivant dans le cadre légal et le strict respect des droits de l’homme ;
– D’agir de façon professionnelle sur le terrain et respecter l’utilisation exclusive des armes conventionnelles lors des opérations de maintien d’ordre.
- Aux institutions de protection et de promotion des droits humains,
- De continuer à interpeller les différentes parties prenantes au processus au strict respect des droits humains ;
- A la presse
– De respecter l’éthique et la déontologie du métier de journalisme ;
– De s’abstenir de diffuser, durant le scrutin, toute information qui pourrait exacerber la crise en refusant de relayer des propos qui incitent à la violence.
- Aux leaders religieux et traditionnels :
- De continuer à prêcher la paix et la concorde sociale.
Aux acteurs de la société civile,
- De coordonner leurs actions de veille, d’alerte, de propositions de solutions et de réponses;
- D’observer plus de neutralité et d’impartialité dans l’accomplissement de leurs missions.
- D’intensifier les actions d’appel au dialogue et à une sortie de crise pacifique pour espérer un plein développement national,
NOTE A L’EDITEUR
Le Réseau Ouest-africain pour l’Édification de la Paix (WANEP) est une importante organisation régionale de consolidation de la paix fondée en 1998 en réaction aux guerres civiles qui ont durement touché l’Afrique de l’Ouest dans les années quatre-vingt-dix. Au fil des ans, il est parvenu à établir de solides réseaux nationaux dans chaque État membre de la CEDEAO, en rassemblant plus de 500 organisations membres dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest.
Rédaction